Trente ans après leur mise en évidence (Berry, 1983), l’avenir des technologies invisibles apparaît radieux, hélas. L’enjeu est aujourd’hui d’apprendre à résister à leur emprise. On observe en effet une grande appétence pour les chiffres synthétiques et les outils d’usage commode (tableaux à quatre cases, classements, etc.). Elle est entretenue par l’éloignement des acteurs sur la planète, l’urgence, et aussi par la préoccupation de mettre plus de transparence et de démocratie dans l’exercice des jugements et des choix. Les développements fulgurants des outils électroniques donnent des moyens commodes pour traiter des informations agrégées. Le problème évoqué en 1983, qui prolongeait les travaux de Claude Riveline et du CGS de l’École des mines (Berry, Moisdon & Riveline, 1978) était le suivant : les instruments mobilisés pour simplifier les jugements et les choix arrivent à entretenir une myopie des acteurs, à structurer leurs comportements d’une façon qui échappe à leurs volontés, voire à leur conscience. Ce texte présentait un exemple pittoresque mais de portée générale, qui a sans doute contribué à sa notoriété et à son influence. On verra cependant que son influence n’a pas été assez grande dans le monde de la recherche. Pour résister aux technologies invisibles, il faudra beaucoup d’énergie, d’intelligence, voire de ruse. Il est possible d’avancer les idées suivantes. En ce qui concerne les entreprises, sujettes à l’aiguillon de la concurrence, un certain optimisme peut être de mise. De plus grandes inquiétudes portent sur l’Administration et les services publics, où l’on voudra instaurer des critères d’efficacité sommaires. La recherche et l’enseignement supérieur sont menacés de standardisation, voire de sclérose, car la mondialisation pousse à un appétit irrépressible de chiffres et de classements.

Auteur: Michel Berry

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