Les chercheurs engagés dans l’étude des organisations parlent volontiers  aujourd’hui de « tournant vers les pratiques » (« practice turn ») ou de « tournant sémiotique » (« semiotic turn ») de leurs recherches. Or le pragmatisme américain de Peirce, James, Dewey et Mead est l’un des (rares ?) courants de pensée susceptibles de fournir les éléments d’une base théorique robuste à ces nouvelles orientations. Malheureusement, l’accès aux auteurs pragmatistes n’est pas toujours aisé. Leur pensée est complexe et exige l’acquisition d’un certain nombre de concepts clés, tels que « signe », « habitude », « médiation », « transaction », « enquête », « Self », « interprétant ». Sans doute pour partie du fait de leur souci de rigueur et de précision, ils ont souvent un style sinueux, redondant et abstrait. Les discours simples et accessibles inspirés par le pragmatisme font quelque peu défaut – ce qui peut être interprété comme un inconvénient, ou au contraire comme un signal rassurant de leur résistance aux modes… si l’on s’en rapporte à la célèbre observation de Tocqueville selon laquelle « une idée fausse, mais claire et précise, aura toujours plus de puissance dans le monde qu’une idée vraie, mais complexe » (Tocqueville, 1986, partie I, Ch. 8, p.171)…

Peu satisfait néanmoins de cet état de fait, je tenterai dans ce texte de fournir une contribution aussi simple que possible sur l’auteur qui est sans doute le plus fondamental mais aussi le plus complexe des pragmatistes, Charles Sanders Peirce (Peirce), en m’imposant deux contraintes : limiter mon propos à un seul concept, jouant un rôle central dans la pensée peircienne ; choisir un concept qui n’éclaire pas l’oeuvre du seul Peirce, mais qui puisse plutôt constituer un fil conducteur pour l’ensemble de l’école pragmatiste, ou du moins des quatre pères fondateurs du « premier pragmatisme » cités plus haut.

Auteur: Philippe Lorino

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