La langue anglaise dispose du mot marketization pour désigner l’emprise toujours plus grande des forces marchandes qui affectent de manière inexorable un ensemble croissant d’activités humaines1 . Ce processus qui depuis quelques décennies étend sans discontinuer l’empire de la marchandise et impose de surcroît les modes d’évaluation du monde de la finance, pose de manière aiguë la question de la place que les marchés occupent dans les sociétés contemporaines. Dans un article récent, Fourcade et Healy (2007), s’appuyant sur un article classique de Hirschman (1982), observent que les débats alimentés par les enjeux de la marketization ont donné lieu à un ensemble d’arguments et de prises de positions qui peuvent être regroupés en trois grandes familles. Pour certains, les marchés favorisent les relations pacifiées et cordiales, ce que le xviiie siècle a appelé le doux commerce, et sont considérés comme des forces civilisatrices, synonymes d’efficacité et porteuses d’exigences démocratiques. Pour d’autres, ils peuvent au contraire être vus comme des machineries qui détruisent le tissu social et finissent par se détruire elles-mêmes. Plus récemment, et notamment avec l’essor de l’idéologie néolibérale, les marchés sont considérés comme des institutions fragiles, menacées par des forces conservatrices qui entravent leur développement et contre lesquelles il faut lutter. À chacune de ces thèses correspond une attitude différente vis-à-vis de la marketization. Ces différentes positions qui, en dernier ressort, jettent deux camps l’un contre l’autre avec, d’un côté ceux qui pensent que les marchés constituent une solution satisfaisante aux problèmes posés par la vie en commun et, de l’autre, ceux qui y voient plutôt un problème, sont d’autant plus irréductibles qu’elles s’entendent au moins sur un point. Les partisans de la marketization comme ses détracteurs partent de l’idée que la notion de marché n’est pas problématique et qu’on sait ce qu’est un marché même si on est en désaccord sur ses effets.

Auteur: Michel Callon

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