Le monde des affaires aime les grands mots. Il en fait de grands remèdes : les scandales se succèdent mais il n’est question que d’ « éthique des affaires » ou d’ « éthique d’entreprise ». Il faut inventer de nouvelles règles, redéfinir les règles anciennes, renforcer les règles existantes, les rappeler. Le problème est-il bien là ? Peut-être faut-il voir les choses un peu différemment, ce à quoi Hannah Arendt pourrait aider. Bien évidemment, de grandes précautions doivent être prises. De par son histoire propre, Arendt a tenté de penser le nazisme et le totalitarisme en général. C’est par le procès des SS d’Auschwitz en Allemagne, puis par le procès d’Eichmann en Israël, qu’elle a abordé les questions morales. Les situations propres à l’éthique d’entreprise ne semblent se rapprocher en aucune manière de situations aussi extrêmes. La transposition des analyses apparaît à première vue impossible. Après réflexion, les choses sont moins simples. Ce qui a intéressé Arendt dans le nazisme et le totalitarisme, ce sont des situations dans lesquelles la morale s’est effondrée, non pas avec des criminels nazis convaincus, mais avec des individus très ordinaires : « La morale s’est effondrée pour devenir un simple ensemble de mœurs – d’us et coutumes, de conventions modifiables à volonté – non pas avec les criminels, mais avec les gens ordinaires qui, tant que des normes morales étaient admises socialement, n’ont jamais rêvé de douter de ce qu’on leur avait appris à croire. » (Responsabilité et jugement, p. 84). Certes, le contexte qu’elle étudie est extrême, mais la situation ne l’est pas. Il est même possible que le caractère exceptionnel de ce contexte permette de mieux placer en lumière des phénomènes généraux. La tentative, en tout cas, mérite d’être menée.

Auteur: Hervé Dumez

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